« Il fait bon. Je suis sur la jetée et je regarde la mer. Il y a des amants à quelques mètres de moi. Une femme et un homme. Ils ferment les yeux. Ils s’embrassent. C’est la première fois qu’ils s’embrassent, ou la dernière fois qu’ils s’embrassent, ou peut-être que c’est le premier baiser du monde. J’ai le goût dans ma bouche des baisers de sel d’O. Ils savent que rien n’aura changé quand ils rouvriront les yeux, que rien ne changera. Que les hommes ne peuvent changer le monde qu’avec les armes du désir, de la musique et de la lumière. Dans l’île, il ne reste des rêves anciens que la couleur éclatante des décombres. Mais la vie est là, simple, tranquille, triste, magnifique, brève comme la beauté. Les amants s’enlacent. Plus tard, ils s’étreindront dans la pénombre d’une ruelle ou d’une chambre de passe, louée à la demi-heure. Je sens leur chaleur. Je la sais aussi en moi. Ils s’appellent. Se touchent. J’écoute leurs murmures émus. La mer lèche la plage en gémissant comme une chienne en chaleur. Elle voudrait participer elle aussi. Elle voudrait s’accorder à leur plaisir, à leur jouissance, être un corps à caresser, jouir désespérément et s’endormir. D’un bon sommeil bien lourd ».
La vie est comme un roman et le roman est comme une vie. On peut écrire par envie mais aussi par nécessité, violence, avec le désir de comprendre, de trouver des explications à des événements ou du moins de s’en créer afin de mieux vivre. Pour y parvenir, on peut recourir à des histoires connues, des mythes qu’on s’approprie, qu’on transforme. Pour son premier roman, Olivier Liron a voulu raconter une version, sa version d’une rupture amoureuse personnelle. Pour se faire, il revisite le mythe d’Orphée et Eurydice mais une version particulière, héritée de l’opéra dansé de Pina Bausch, celle où Eurydice n’a pas besoin d’Orphée pour vivre, pour aller aux Enfers.
Tout commence par le coup de foudre d’O. pour Loren lors d’une soirée entre amis. La passion entre cet homme et cette acrobate vive, libre est rapide et intense. Une attraction presque animale les anime. Ils ont la folie des projets, de voyages alors qu’ils se connaissent à peine. O. se laisse entraîner par la fougue, la folie de sa bien-aimée jusqu’au jour où Loren disparaît. Pourquoi ? Comment vivre après une passion aussi forte et rapide qu’éphémère – le pire et le plus bel amour qu’il soit, celui qui vous dévore, vous consume, vous laisse vide et désespéré ? C’est sur cet événement que s’achève la première partie du roman intitulée Orphée et qui donne le point de vue d’O.
La seconde partie du roman est une partie courte, de transition, celle où O. décide d’enquêter sur le passé de Loren. Cette enquête l’emmène en Normandie, à Tombelaine. C’est la promenade, celle d’O. et son ami, qui fait écho à celle que l’auteur a eue et qui lui a donnée envie d’écrire le roman.
La troisième partie, Eurydice, donne le point de vue de Loren à travers un journal intime et fournit des éléments d’explication à la disparition. Je ne vous en dis pas plus – je pense déjà être allée trop loin – pour vous laisser découvrir ce qu’il en ressort.
J’ai bien aimé ce roman assez riche, mêlant des styles d’écriture et des références culturelles variés. La première partie est assez vive, entraînante, à l’image de Loren. Le style est plus léger, il y a des situations un peu décalées, des touches d’humour. Bref, une première partie qui respire la joie de vivre. Et puis, avec la disparition de Loren, il y a une rupture dans la narration. Le ton devient plus grave, les phrases plus longues, plus poétiques aussi. Olivier Liron a livré un premier roman assez ambitieux tant sur la construction que sur l’écriture qui est fluide, captivante, assez poétique. Il allie exigence et accessibilité à mon sens mais peut éventuellement surprendre ou décontenancer certains lecteurs.
Pour terminer, je suis sous le charme du titre dont on trouve les définitions à deux endroits du livre (page 31 et à mon sens dans les pages 226-227, partie autobiographique).
Auteur à suivre, comme la plupart des auteurs de chez Alma éditeur d’ailleurs (Qu’est-ce que je l’aime, décidément, cette maison d’édition).
Olivier Liron – Danse d’atomes d’or – Alma éditeur – 230p