« Hiver à Sokcho » d’Elisa Shua Dusapin
Coup de cœur – Rentrée littéraire 2016
Premier roman
« Sa valise à mes pieds, il a retiré son bonnet. Visage occidental. Yeux sombres. Cheveux peignés sur le côté. Son regard m’a traversée sans me voir. L’air ennuyé, il a demandé en anglais s’il pouvait rester quelques jours, le temps de trouver autre chose. Je lui ai donné un formulaire. Il m’a tendu son passeport pour que je le remplisse moi-même. Yan Kerrand, 1968, de Granville. Un Français. Il avait l’air plus jeune sur la photo, le visage moins creux. Je lui ai désigné mon crayon pour qu’il signe, il a sorti une plume de son manteau. Pendant que je l’enregistrais, il a retiré ses gants, les a posés sur le comptoir, a détaillé la poussière, la statuette de chat fixée au-dessus de l’ordinateur. Pour la première fois je ressentais le besoin de me justifier. Je n’étais pas responsable de la décrépitude de cet endroit. J’y travaillais depuis un mois seulement. »
Yann Kerrand, un normand auteur de BD, débarque à Sokcho, station balnéaire sud-coréenne, proche de la frontière avec la Corée du Nord. La narratrice, jeune femme coréenne mais d’origine française par son père, l’accueille à l’hôtel où elle travaille. Elle se demande ce qu’un Français fait dans ce lieu reculé en plein hiver. Au fil des jours, des semaines, elle se rapproche de Yann mais toujours avec beaucoup de réserve, de pudeur. Ils parlent peu mais les sentiments émergent et peinent à rester enfouis.
Elisa Shua Dusapin nous livre un premier roman d’une grande beauté. Elle arrive en peu de pages et avec une économie de mots à nous transmettre au plus juste les émotions de ces personnages pourtant si réservés. Je me suis sentie très proches d’eux. L’écriture est d’une grande élégance, finesse. C’est un roman d’une grande douceur mais aussi avec une belle part de sensualité, attisée justement par cette écriture dépouillée.
Une très belle découverte et un joli coup de coeur.
Elisa Shua Dusapin – Hiver à Sokcho – Editions Zoé – 140p.