La roue tourne – Ma participation à l’atelier d’écriture #231 de Leiloona (Bricabook)
Leiloona organise chaque semaine des ateliers d'écriture. Tous les mardi/mercredi, elle met en ligne sur son blog une photo qui doit permettre d'éveiller l'imagination et mettre ainsi en place un processus d'écriture. Les participants doivent ensuite fournir un texte le dimanche soir qui suit. Le lundi matin, Leiloona les publie ou met les liens des différentes participations.
©Leiloona
Elle remonte à la surface métro Concorde. Elle va enfin visiter cette expo qu’elle attendait depuis des semaines. Là, c’est le dernier carat, la dernière journée libre avant la fin le 13 janvier. Elle avait repoussé la visite jusqu’à cet instant. Elle aime jouer avec le temps, faire durer le suspense, le désir, jusqu’au moment où il faut se faire violence et se jeter. Procrastination est la définition qu’on donne, mais pour elle c’est l’essence de sa vie, son piment. A quoi bon tout faire trop vite ? Le plaisir est encore plus grand, plus fort quand on fait monter le désir et qu’on y cède ensuite, juste avant que le moment nous échappe, avec la violence de ceux qui savent justement que c’est la dernière occasion.
Seize heures et demie. Il fait déjà presque nuit mais elle se décide tout de même à emprunter le jardin des Tuileries plutôt que la place de la Concorde. Bien que les fêtes de fin d’année soient terminées, la foule reste importante en ce jeudi, des touristes pour la plupart venus photographier et tester la Grande Roue. Cette Grande Roue, elle ne l’aime pas. Plus jeune, elle était montée dans une de ces machines – elle ne sait même plus où d’ailleurs – et elle avait été traumatisée. La hauteur, les nacelles qui tanguent au gré du vent, une peur incommensurable. Elle avait essayé plus tard, lors d’un séjour à Vienne, de faire le Riesenrad du Prater. Le sol s’était dérobé sous ses pieds au moment d’y monter.
De longues minutes dans la file d’attente et enfin l’accès à l’Orangerie. Des murs d’un vert olive, une immense photo de Frida, celle de la couverture de Vogue, sur le côté droit puis l’entrée dans l’expo. Pendant près d’une heure, elle arpente les différentes pièces aux couleurs vives : la Casa Azul semble avoir quitté Coyoacán pour le cœur de Paris. Et là, au milieu des œuvres de Frida Kahlo et de Diego Rivera, la claque ! Le cœur palpite, le sang tangue, la chaleur monte à la tête, le sol semble une fois de plus vouloir se faire la malle. Mais, contrairement à la roue, ce n’est plus la peur, c’est le sentiment amoureux. Elle tombe amoureuse soudainement, violemment de Frida. Ce n’est pourtant pas une inconnue, elle la connaît déjà. Elle avait étudié certaines de ses œuvres en cours d’espagnol au lycée. Mais, là, cette confrontation directe avec ses peintures, avec les problématiques de la femme qui lui parlent tellement plus à trente ans qu’à quinze ou vingt, c’est le coup de foudre. A partir de ce jour, elle n’aura de cesse de se documenter sur elle, de lire ses lettres, de tenter de la connaître au plus intime. Elle aura aussi l’idée d’en faire un personnage pour un atelier d’écriture. Elle espérera aussi en faire plus sur elle, avec elle. Mais, comme d’habitude, elle jouera avec le temps, elle fera durer le suspense, le désir jusqu’au moment où il faudra se faire violence et se jeter.
Dix-huit heures passées. Elle est sortie. Elle s’avance jusqu’au muret devant le musée, fait face à la place de la Concorde. Elle ferme les yeux, respire l’air frais et laisse le vent fouetter ses joues en feu. La délivrance après l’excitation. Elle rouvre les yeux et observe à nouveau la Grande Roue, sa lente rotation et ses lumières vives. Et là elle ne se l’explique pas, elle ouvre son sac, saisit son appareil photo et prend un cliché de la structure.
©Virginie Vertigo