« ‘Le simple et honnête nom de Becker’ est un nom banal en Allemagne. Paula Becker est le nom d’une fille dont le père s’appelait Becker et qu’on a prénommée Paula.
Les femmes n’ont pas de nom. Elles ont un prénom. Leur nom est un prêt transitoire, un signe instable, leur éphémère. Elles trouvaient d’autres repères. Leur affirmation au monde, leur ‘être là’, leur création, leur signature, en sont déterminés. Elles s’inventent dans un monde d’hommes, par effraction. »
Qui connaissait Paula Modersohn-Becker en France avant ce livre, avant cette exposition au musée d’Art moderne de Paris ? Peu de monde. Parce que c’est une femme, parce qu’elle a peint d’un œil nouveau la femme et parce qu’elle est morte bien trop jeune, on l’a oubliée.
Marie Darrieussecq la découvre d’ailleurs par hasard. En 2010, elle reçoit une invitation à un colloque de psychanalyse sur la maternité et elle est frappée par le tableau qui sert d’illustration : une femme allongée qui allaite son enfant. « Tout ce que je savais en regardant cette toile, c’est que je n’avais jamais rien vu de tel Une femme montrée ainsi, et en 1906. Qui était Paula Modersohn-Becker ? Pourquoi n’avais-je jamais entendu parler d’elle ? » : cette citation résume parfaitement l’intérêt que Marie a porté immédiatement à la peintre.
Paula née à Dresde en 1876 devient l’une des précurseurs du mouvement expressionniste. Mais, ce qui fait surtout l’originalité de son œuvre c’est qu’elle peint des femmes, des enfants dans un style non académique, dans des situations inédites et le tout dénué de sentimentalisme. Ses autoportraits choquent pour l’époque : elle se représente nue et enceinte.
Le caractère non conventionnel de son œuvre se retrouve dans sa vie personnelle. Elle se rapproche du peintre Otto Modersohn alors même que celui-ci est encore marié à sa femme Hélène. Marie raconte d’ailleurs une anecdote savoureuse qui montre le culot de la jeune femme : elle convie le couple en mai 1900 à les rejoindre à Paris mais sachant que madame est souffrante, il faut absolument qu’elle convainque son mari d’y aller : « Bien sûr il dira non, il ne voudra pas partir sans vous, mais soyez ferme, ne lâchez rien ». Au décès d’Hélène, Otto et Paula se marient rapidement. La conjugalité ne freine pas l’indépendance de la jeune femme qui continue à voyager et possède son propre atelier.
Marie décrit aussi longuement la relation amicale entre Paula et l’écrivain Rainer Maria Rilke, à travers leurs correspondances. Rilke épouse d’ailleurs Clara Westhoff, l’amie de Paula.
Malgré des tensions dans le couple et une séparation en 1906, Paula et Otto finissent par accueillir leur premier enfant, Mathilde en novembre 1907. Malheureusement, suite à un trop long alitement, Paula meurt d’une embolie pulmonaire dix-huit jours plus tard, mettant ainsi aussi un terme à sa carrière.
Marie Darrieussecq a dressé un très beau portrait de cette jeune peintre. Femme dans un monde d’homme, elle a réussi à tirer son épingle du jeu, à faire ce qu’elle voulait mais n’a jamais eu la reconnaissance qu’elle méritait. Marie décrit d’ailleurs un moment gênant quand elle se rendit au musée Folkwang d’Essen pour voir son œuvre : elles étaient stockées au sous-sol… une installation décrite comme « provisoire ». Comme toujours, Marie a une écriture fine, agréable. Je regrette peut-être un récit parfois un peu trop factuel. Je la remercie de nous faire découvrir cette femme à la vie extraordinaire et à l’œuvre somptueuse.
Marie Darrieussecq – Etre ici est une splendeur – POL – 160p.