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LES LECTURES DU MOUTON
12 juillet 2016

« L'importun » d'Aude Le Corff

Coup de cœur

2016-07-10 13

« Le vieillard ne pouvait vivre loin de sa maison, de ses outils, de ses habitudes. Je sentais que ces quelques heures durant lesquelles il retrouvait le seul univers qu'il avait jamais connu lui étaient vitales et qu'en le rejetant, je le tuerais. J'aurais pu changer la serrure pour avoir la paix. Cela me traversa l'esprit mais je ne pus m'y résoudre. Il ne chercha pas à savoir quand cela m'arrangerait de le recevoir, de supporter sa présence, aussi discrète fût-elle, il m'intimidait pour ne pas prendre le risque de se voir refuser l'accès à sa maison. Je m'en voulais un peu de ma faiblesse, car je n'osais lui demander de revenir plus tard lorsque j'étais absorbée par mon manuscrit. Néanmoins, très vite, je tins ma revanche : il m'inspira un personnage et la trame de mon cinquième roman.

Ne fréquentez jamais un auteur, il s'emparera de votre vie pour peu qu'elle l'intéresse, et la livrera en pâture à des inconnus. Les écrivains sont des charognards fragiles, qui peuvent se laisser dévorer et y mettent des sentiments. »

La narratrice, enceinte de son second enfant, souhaite quitter le tumulte parisien. Avec son mari Damien, elle achète une maison proche de la mer. Cette demeure, vendue par deux sœurs, appartenait à leur père, un vieux monsieur maintenant en maison médicalisée. L'installation se fait sans encombre. Malgré quelques difficultés pour s'acclimater à cette nouvelle vie, la narratrice, auteure de polars, y voit l'occasion de se consacrer davantage à l'écriture.

Mais un jour, la serrure fait du bruit, la porte s'ouvre et la narratrice tombe nez à nez avec l'ancien propriétaire visiblement détenteur d'un double. Guy Moustier, l' « importun », feint de l'ignorer ou lui demande brutalement quand elle part de chez lui, tout en vaquant à ses occupations d'avant : jardinage, descente dans la cave...

Alors que la narratrice pourrait s'en débarrasser aisément, elle ne fait rien. Lui-même prend soin de lui « rendre visite » uniquement quand elle est seule. Arrachée – volontairement – à sa vie parisienne et arraché – par son placement – à sa vie dans la maison, les deux personnages se retrouvent dans leur solitude et finissent par s'apprivoiser. Ils se dévoilent progressivement et racontent, avec retenue et pudeur, leurs souvenirs et leurs douleurs. Ils sont notamment liés à la relation au père. Pour Guy, le père résistant est arraché par la Gestapo, torturé, devenu absent. Il en reste marqué tout au long de sa vie, au point de perdre lui-même sa femme et devenir un père absent pour ses filles. Pour elle, le père est présent, peut-être trop présent par son alcoolisme, sa violence, son incapacité à aimer sa famille.

J'ai été profondément touchée par ce beau roman et cette relation à la fois décalée et finalement tendre entre les deux protagonistes. On ne tombe jamais dans le mélo. Aude Le Corff sait parfaitement raconter cette histoire avec douceur, sensibilité mais force aussi. On s'attache aux personnages, à leurs vécus et on les quitte avec regrets.

Lisez ce roman si vous ne l'avez pas encore fait, il le mérite !

 

Aude Le Corff – L'importun – Stock – 195p.

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Commentaires
S
Noukette m'a prêté son premier, il me semble. Je commencerai par là
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