« Les brasseurs de la ville » de Evains Wêche
Premier roman
« Tu t'entêtes à rester portefaix toute ta vie. Tu veux me voir vendre des serviettes sous le chaud soleil de Port-au-Prince, prétextant que tout cela n'est pas à nous parce que ce n'est pas le fruit de notre travail. Tu n'as rien à prouver à quiconque. Tu dis pouvoir gagner plus que les 2000 gourdes qu'Erickson nous donne chaque semaine. Je te laisse croire que tu y parviens. Il nous donne plus que 2000 gourdes, voyons. Avec quoi penses-tu que je fais les provisions de la semaine ? Parfois, je passe le voir à son business au bas de la ville parce que je sais qu'il me donnera de l'argent. Il le fait chaque fois. Tu ne le sais pas, mais je nourris ton ego. Tu as toujours fait de ton mieux, mais pour une fois laisse-toi aider, chéri. C'est Dieu qui a mis un ange sur notre chemin, c'est notre délivrance. Ne déclare pas impur ce que Dieu a pris la peine de te servir. Je ne comprends pas que tu te sois donné autant de peine pour espérer les millions du gouvernement américain ; pour une fois que la chance te sourit, tu ne la saisis pas. Tu devrais pourtant.
Babette se sacrifie pour nous. Elle vient souvent pleurer dans mes bras. Elle n'ira pas vers toi, tu n'as jamais rien su de nos affaires. Tu ne sais qu'engueuler et souffleter. Moi, je connais les feuilles. Les tisanes de tibonm, les vapeurs... On embaume les douleurs qu'on ne peut guérir. »
Port-au-Prince, quartier du Carrefour. Une famille de cinq enfants. Une mère vendeuse de serviettes, un père qui fait des chantiers. La volonté de sortir de la misère et par tous les moyens possibles quitte à vendre sa fille, à la « putaniser ». Les espoirs qui se réalisent pour la famille mais un lourd tribut à payer et qu'on ne soupçonnait pas.
Evains Wêche donne la parole à tour de rôle au père et à la mère de la famille. Rapidement, on sent la divergence des points de vue sur le sort de leur fille Babette, sur la richesse et le bien-vivre. L'auteur dépeint à travers cette famille la dureté de la vie à Haïti : des filles qui se prostituent, des garçons livrés à eux-même, la pauvreté et la volonté de récupérer de l'argent chez les riches étrangers.
Un roman dur et qui pourrait être poignant mais, pour autant, je n'ai pas ressenti beaucoup d'émotions. J'ai eu déjà du mal à entrer dans le roman et à repérer à chaque chapitre qui du père ou de la mère parlait, rendant le récit confus. Pour autant, il y a des passages de grande beauté dans le style. Un ensemble du coup que je trouve assez inégal. Cependant, j'avoue qu'il est dépaysant d'avoir un récit de ce genre.
Evains Wêche – Les brasseurs de la ville – Philippe Rey – 190p.