Questions à … Julie Moulin.
Après un premier Questions à... en janvier avec Hafid Aggoune, j'ai eu envie de retenter l'expérience avec un auteur dont le roman a été un véritable coup de cœur, comme cela l'avait été avec Anne F. La lecture de Jupe et pantalon, le premier roman de Julie Moulin chez Alma éditeur a été pour moi une évidence, d'autant plus après avoir rencontré l'auteur, une femme adorable et dont l'émotion m'avait grandement touchée.
J'ai donc proposé à Julie de bien vouloir répondre à mes petites questions sans prétention et, malgré un emploi du temps chargé, elle a joué le jeu. Je la remercie à nouveau.
Si vous n'avez pas encore lu ce roman décalé mais qui aborde des thèmes sérieux, j'espère que ces questions-réponses vont vous y encourager.
« On exige des femmes d’être des mères disponibles pour leur famille, tout en étant des personnes flexibles au niveau du travail. »
1. Comment vous est venue l'idée d'écrire Jupe et pantalon ?
Une nuit, j’ai imaginé mes deux jambes conversant. Ma jambe gauche annonçait à sa voisine qu’elle allait se casser. Cette dernière lui soulignait en retour l’absurdité d’une telle démarche. Elles étaient toutes les deux coincées dans ce lit avec moi. Cette velléité de fugue d’une de mes deux jambes m’a fait sourire puis réfléchir. Je pouvais dresser le portrait d’une femme à travers le dialogue des membres de son corps.
2. Votre roman montre que la place des femmes dans notre société reste difficile : Était-il important pour vous de faire un roman féministe ?
Mon projet n’était pas d’écrire un roman engagé. Jupe et pantalon n’est donc pas un manifeste. Cependant, en choisissant de mettre en scène un corps de femme, j’interroge de fait nos représentations du corps féminin. Pourquoi ce corps doit-il porter nécessairement la vie, pourquoi se doit-il d’être désirable ? De même qu’en dressant le portrait d’une jeune femme reprenant le travail après un second congé maternité, je pose dans le roman des questions relatives à la place des femmes dans les sphères publique et privée. On exige des femmes d’être des mères disponibles pour leur famille, tout en étant des personnes flexibles au niveau du travail. Les femmes peuvent tout, autant que les hommes, à condition de ne pas être entravées par ces injonctions contradictoires. Dans Jupe et pantalon, je m’intéresse également au rapport au temps et au travail dans nos sociétés occidentales.
En donnant la parole aux différents membres du corps d’Agathe, j’oppose finalement différents points de vue, je pose des questions davantage que je n’assène des vérités. Comment en arrive-t-on à courir droit au mur ?
3. Comment vous est venue l'envie d'écrire ? Quelles sont vos sources d'inspiration ?
Je lis beaucoup depuis que je suis enfant. L’idée d’écrire me taraudait, j’avais bien écrit quand j’étais plus jeune, mais rien d’important ; j’étais surtout très empêchée par l’admiration que je portais aux « Grands Auteurs ». J’apprécie des auteurs dans le sillage desquels je n’oserai jamais m’inscrire, Virginia Woolf entre autres.
Je remercie donc mes jambes de m’avoir soufflé cette idée burlesque d’une fugue nocturne. Je me sens bien dans l’absurde, plus libre dans une écriture décalée que dans une écriture classique ; tout en m’inspirant de thématiques très concrètes et contemporaines. Cette façon de traiter des sujets de société par le rabaissement se retrouve dans la littérature russe.
4. Avez-vous des rituels, des routines d'écriture ?
Je n’ai pas de rituel, ma vie familiale empêchant la mise en place de telles routines. J’ai écrit Jupe et pantalon alors que j’étais en poste à Genève, sur un coin de table lors de mes pauses déjeuner et dans une bouquinerie près de chez moi une demi-journée par semaine. J’ai finalement démissionné pour me libérer du temps et me consacrer au travail sur ce texte. J’y ai perdu un salaire et certains privilèges comme celui de faire garder mes enfants pendant les vacances scolaires et les grandes épidémies… J’écris donc encore par à-coups, avec des reprises difficiles dans le langage, le rythme du texte en cours. Je me promène avec des carnets pour noter les idées qui me viennent.
5. Pourriez-vous conseiller trois romans ?
Je triche, avec 4 titres :
- Le Maître et Marguerite de Mikhail Boulgakov
- Lambeaux de Charles Juliet
- La traversée des apparences de Virginia Woolf
- La promesse de l’Aube de Romain Gary
6. Jupe et pantalon est votre premier roman : Que conseillez-vous aux personnes qui aspirent à écrire le leur?
Je donnerais le même conseil, très simple, que celui que je reçus un jour : écris ! Des petites choses, des textes courts, ce n’est pas important. Il faut rentrer dans l’écriture, oser se faire confiance. Et beaucoup travailler. Pour moi écrire n’est pas un loisir, c’est un véritable investissement intellectuel et émotionnel.
Julie Moulin, Jupe et pantalon, Alma éditeur, 295 p.
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