« Jupe et pantalon » de Julie Moulin
Coup de cœur – Hiver littéraire 2016
« A. se presse, comme d'habitude. Elle se moque bien de mes interrogations. Pas question d'arriver en retard. Elle revient de congé maternité ; il y a tout à prouver, encore. Babette se plaint : la valeur économique de sa contribution à l'effort nationale n'est pas reconnue. A. doit travailler au centuple et même se faire pardonner. Depuis deux mois, nous sommes tous en ordre de bataille derrière Camille, deux mois déjà que nous battons le pavé, de la maison au bureau, du bureau à la crèche, de la crèche à la maison... Et tout au pas de course ! À peine une affaire résolue, Camille nous assigne une nouvelle tâche. Interdiction de flancher. Seulement, moi, j'en ai assez, je suis déjà sur les rotules. »
En voilà un roman atypique, audacieux et plus que prometteur pour son auteur. En même temps, j'ai rarement été déçue par un roman d'Alma éditeur.
Jupe et pantalon est le premier roman de Julie Moulin, une jeune femme de trente-sept ans. Travaillant dans la finance, elle a tout claqué pour se consacrer à l'écriture de ce roman qui m'a enthousiasmée mais également remise en question.
Là où le titre laisserait supposer un roman léger, il n'en est rien même si le procédé littéraire choisi étonne. En effet, Julie Moulin donne la parole au corps d'A. et particulièrement à ses jambes, Marguerite et Mirabelle. Dans toute une première partie du roman, Marguerite et Mirabelle – mais aussi Boris et Brice les bras, Babette la paire de fesses et Camille le cerveau – décrivent à leur manière le quotidien d'une jeune cadre dynamique qui vit un burn-out. Quand on n'écoute plus son esprit, c'est le corps qui réagit et le corps d'A. en fait la triste expérience. La seconde partie du roman retourne à une narration plus classique mais permettant de mieux saisir l'ensemble des émotions d'A.
Au-delà du burn-out – qui est cependant un thème peu traité dans la littérature, notamment française – Julie Moulin montre la difficulté d'être une femme à qui on assigne tous les rôles et dont le moindre choix est vivement critiqué :
« Agathe change de position. De son côté, on la renvoie sans cesse à son état de mère, sorte de maladie incurable. Au travail, elle se bat pour prouver ses compétences. Et quand elle s'impose, on le lui reproche : Pourquoi faire des enfants si on ne s'en occupe pas ? Agathe s'éreinte pourtant à élever sa progéniture : les heures qu'elle donne à ses fils, il lui semble les voler à son travail [...] Quant aux personnes de son sexe, elles la critiqueraient : ce n'est pas servir la cause que de vouloir reprendre le tablier. ON s'est tant battues, nous ! Mais Agathe veut tout. Le beurre et l'argent du beurre. Le travail et les enfants. La jupe et le pantalon. »
J'ai accroché à cette histoire et à sa construction. Julie Moulin maîtrise bien son sujet, son écriture et je pense qu'il y a un gros potentiel pour la suite. Personnellement, j'ai aussi été touchée car les thèmes abordés me parlent beaucoup. J'espère moi-même ne pas faire le combat de trop et réaliser mes projets.
Julie Moulin – Jupe et pantalon – Alma éditeur– 295p.