« Une Antigone à Kandahar » de Joydeep Roy-Bhattacharya
«Sa voix et son attitude sont expressives. Non, en fait, je ne suppose pas qu’elle est innocente, il dit. Mais je sais au moins ça : s’il s’avère qu’elle est là en mission-suicide, ce ne sera pas parce qu’elle hait notre religion. Je veux dire, on n’a même pas de putain de religion. Ce sera parce qu’on a buté son frère et qu’on est dans leur putain de pays. C’est pourtant pas difficile à comprendre ? Quand vous tuez des gens et exterminez leur famille, que vous mitraillez leur maison et brûlez leur village, que vous pilonnez leurs champs de bombes à fragmentation et abattez leurs troupeaux, vous avez perdu la putain de bataille pour le cœur et l’esprit. Putain, on essaie de mentir à qui ? À nous-mêmes ? On est vraiment étonnés qu’ils ripostent ? On n’est pas en train de gagner la guerre, on est en train de se créer des ennemis à vie. Il est temps d’admettre que nos supérieurs nous tiennent prisonniers de leurs mensonges. »
J'ai beaucoup hésité à lire ce roman car j'avais peur d'être déçue et puis le titre était suffisamment beau à mon sens pour y prêter attention et je me suis donc lancée après quelques semaines d'interrogations. Je ne regrette pas même s'il y a des longueurs.
Une base américaine de la province de Kandahar en Afghanistan. Une jeune fille pachtoune, Nizam, habillée d'une burqa et circulant en charrette suite à la perte de ses jambes, arrive sur la base pour réclamer le corps de son frère afin de l'enterrer selon le rite musulman. Les soldats se méfient : est-ce réellement l'incarnation moderne d'Antigone ou est-ce un leurre pour les piéger ?
Ce début de roman permet à l'auteur de nous faire parler tour à tour différents protagonistes : le lieutenant, l'adjudant, le médecin, le traducteur etc. C'est l'occasion de découvrir au-delà de la vie en guerre, les personnalités, les histoires personnelles et les aspirations de ces personnages dignes d'une tragédie grecque.
Joydeep Roy-Bhattacharya offre ainsi de beaux portraits sensibles, sans préjugés ni prise de partie et montre ainsi les dommages collatéraux de la guerre. L'écriture est sublime également.
Joydeep Roy-Bhattacharya – Une Antigone à Kandahar – Gallimard – 368p.
Livre lu dans le cadre du challenge 1% rentrée littéraire 2015 (24/6 = 4%)