« Chantiers » de Marie-Hélène Lafon
Coup de cœur – rentrée littéraire 2015
C'est avec un plaisir immense que je retrouve Marie-Hélène Lafon en cette nouvelle rentrée littéraire parce que je l'adore. J'aime cette langue puissante, belle et ce style si reconnaissable. J'aime ce qui émane d'elle également quand je la vois à la télévision. Elle se met à nu et elle se raconte, raconte son œuvre avec une telle fougue, une telle passion, qu'on ne peut que tomber amoureux. Je suis donc de manière irrémédiable amoureuse de cet auteur.
Cette fois-ci, on ne retrouve pas Marie-Hélène dans un roman ou des nouvelles – bien qu'un ensemble de nouvelles sous le titre d'Histoires a été aussi publié aux éditions Buchet/Chastel cette rentrée – mais dans un essai intitulé Chantiers. Cet essai est un ensemble de courts chapitres où l'auteur explique l'acte d'écriture, comment le livre se forge dans « l'établi » où « ça fermente », où ça « fomente ».
L'occasion est là pour nous sortir ses plus belles expressions comme « c'est pas du rôti » - dans le sens de ce qu'on ne peut se permettre – ou des néologismes comme « j'extraille » - j'extrais des entrailles. Le latin a sa place également en bonne enseignante de lettres classiques.
Accompagnant l'établi, Marie-Hélène évoque aussi sa famille, son milieu social paysan qu'elle retrouve avec joie dans des auteurs comme Pierre Bergounioux ou encore Richard Millet. On retrouve aussi Flaubert, Claude Simon, la Callas ou encore Bach, « le grand maître des musiques d'établi ».
Cet essai est un vrai petit bijou que tout amoureux des livres et de la langue devrait lire. Et comme mes propos ne seront jamais aussi beaux et convaincants que ceux de la dame, je vous laisse découvrir certains extraits :
« Et que dire de on ? On pose l'homme en sujet, c'est l'homo du socle latin, l'être humain, la bête humaine, hommes et femmes mêlés et emmêlés pour les siècles des siècles, que l'érosion étymologique a raboté, élimé aux deux bouts, rogné jusqu'à l'os, et figé au nominatif dans son emploi du sujet ; la messe fut dite et c'est pour toujours.»
« Le temps me mord. Je me dis volontiers atteinte de chronalgie, affection lente et tenace autrement nommée agendite ; le pronostic vital demeure engagé même si l'on se soigne; on en rit; on invente des listes, on barre et on efface, on a des priorités et des urgences et de lancinants reports ; on se débat, on a des rémissions et des rechutes, et des accès aigus, et des accalmies, voire des embellies, bienheureuses: on bourre le temps, on se vote des jachères, on déshabille Pierre pour habiller Paul et on n'est même plus tout à fait certain que c'était mieux avant ; avant les messageries, les sms, le smartphone sur la table de chevet et les réseaux sociaux qui fourmillent et bourdonnent autour de notre île connectée. »
Marie-Hélène Lafon – Chantiers – Éditions des Busclats – 120p.
Livre lu dans le cadre du challenge 1% rentrée littéraire 2015 (18/6 =3%)