« La septième fonction du langage » de Laurent Binet

« L'accident n'est jamais un accident » - Derrida lors d'une conférence à Cornell (p. 359)

Et si Roland Barthes ne s'était pas fait renversé au hasard ? Et si on avait planifié son assassinat ? Tel est le postulat de départ de ce nouveau roman de Laurent Binet. Il imagine ainsi que Roland Barthes, le jour de son accident, détenait un manuscrit inédit de Jakobson sur la septième fonction du langage. Dans la réalité, il en existe six mais Laurent Binet a imaginé l'existence d'une septième qui permettrait à celui qui la maîtrise de convaincre n'importe qui de n'importe quoi. Cette septième fonction serait dite performative : une chose advient du moment qu'on l'a proférée comme le fameux : « je vous déclare mari et femme ». Bien évidemment, une telle découverte suscite les convoitises, expliquant cet assassinat déguisé en accident. Le flic Bayard doit percer le mystère de cette mort et de ce manuscrit. Il est aidé par Simon Herzog, un universitaire de la fac de Vincennes, une fac de « gauchistes » comme la qualifie Bayard. Les acolytes plongent ainsi dans le milieu fermé, select des intellectuels parisiens (mais aussi des intellectuels « internationaux ») comme Michel Foucault, BHL, le couple Sollers et Kristeva, Umberto Éco etc.

Je suis partagée sur ce roman car il est à la fois brillant et très inégal.

Pour le brillant, on peut tout d'abord noter le style. Laurent Binet maîtrise bien les dialogues et le contexte dans lequel ils se déroulent. Mêler polar et érudition est bien trouvé aussi – même si j'ai une réserve sur le polar que j'expliquerai plus loin. Enfin, et surtout, ce roman est corrosif, très critique sur l'intelligentsia parisienne, cette French Theory complètement fantasque. Beaucoup « s'en prennent plein la gueule » notamment le couple Sollers-Kristeva ou BHL. On peut citer pour exemple deux passages : « Le lecteur s'étonnera peut-être de la présence de BHL mais, déjà à l'époque, il est dans tous les bons coups » (p. 69), « Toujours, chez ses gens-là, la recherche de privilèges comme marque d'élection » (p.70).

Cependant, ce roman est très inégal, notamment dans sa structure. Les 200 premières pages sont excellentes, même s'il faut s'accrocher – ou pas - pour comprendre tout ce vocabulaire sur la sémiologie ou la linguistique. Puis, le rythme ralentit fortement au moment de la visite de Bayard et Herzog au Logos Club – société secrète où on organise des joutes verbales – et surtout lors du voyage en Italie. Le roman n'avance pas, on s'ennuie sérieusement, au point que j'ai failli abandonner. Heureusement, la dernière partie du roman reprend un peu de vigueur mais n'arrive jamais à la cheville des premières pages. Le polar tombe à plat car on devine très rapidement qui a pu vouloir le manuscrit – au vu du contexte politique de l'époque – et la scène finale est peu convaincante à mon goût.

Mes sentiments mitigés font que je comprends que ce roman puisse être adoré par certains et détesté par d'autres. Personnellement, je pense qu'il vaut mieux s'attarder sur d'autres romans de cette rentrée littéraire...

Laurent Binet – La septième fonction du langage – Grasset – 496 p.

Livre lu dans le cadre du challenge 1% rentrée littéraire 2015 (Objectif 1% atteint)

Comments

[madimado]

Bon, du coup je ne suis pas sure de vouloir le lire. Surtout que bon, la linguistique et moi on n'est pas trop en bons termes. En même temps ça m'intrigue cette histoire. Mais bon, j'ai un peu la manie de vouloir tout lire aussi !

[Delphine-Olympe]

En ce qui me concerne j'ai adoré de bout en bout. Je l'ai trouvé très brillant, extrêmement bien construit et j'ai franchement beaucoup ri. Il m'a semblé qu'il mettait les théories linguistiques à la portée du plus grand nombre. Et c'est une réflexion à la fois ludique et pertinente sur le pouvoir du langage.

Bref, 100 % conquise !