« Debout-payé » de Gauz

L'auteur : Gauz est né en 1971 à Abidjan. Après avoir refusé une bourse pour faire des études vétérinaires à Maisons-Alfort, il entreprend des études de biochimie à Jussieu avec un visa touristique de trois mois. N'arrivant pas à transformer ce visa en visa étudiant, il devient « étudiant sans-papiers ». Il commence ainsi des jobs de « debout-payé », c'est-à-dire de vigile dans les magasins. Il finit par obtenir la nationalité française et enchaîne des jobs divers et variés allant de baby-sitter à photographe ou rédacteur en chef d'un journal économique.

Résumé :

Ce roman raconte l'histoire d'Ossiri, un étudiant ivorien qui devient vigile en arrivant sans papiers à Paris en 1990. A travers ce récit, découpé en trois âges : « l'âge de bronze 1960-1980 », « l'âge d'or 1990-2000 » et « l'âge de plomb », on découvre les histoires de ces immigrés africains qui, en étant sans-papiers, ne peuvent que devenir vigile pour vivre. De véritables réseaux se tissent ainsi entre cette communauté africaine à la fois diverse et solidaire. On y découvre aussi les relations politiques entre la France et ses anciennes colonies. L'ensemble est ponctué d'interludes où l'auteur raconte ce qu'il a vu et entendu quand il était vigile à Camaïeu ou encore au Séphora des Champs-Elysées.

Mon avis :

Ce roman est à la fois bourré d'humour et en même temps assez noir. C'est une véritable satire sociale. Gauz décrit avec force et grande acuité à la fois les travers consuméristes des gens mais aussi l'entraide de la communauté africaine et les préjugés.

Les interludes prennent la forme de mini-dicos où l'auteur dissèque les comportements des gens. Les trois parties sur l'histoire des vigiles en France montrent à quel point la politique française mais aussi la géopolitique ont influé grandement sur l'accès ou non au travail pour les sans-papiers : l'instauration de la « carte de séjour » sous Pompidou, les attentats du 11 septembre...

Ce roman est une excellente surprise : c'est percutant, intelligent, drôle, grinçant... un grand coup de cœur !

Extraits :

p. 30

« iPHONE. Une jeune fille essaie des lunettes et se mire avec son iPhone, fonction « Facetime ». A côté d'elle, un grand miroir descend du plafond jusqu'au plancher.

Des filles essaient des tenues dans les cabines d'essayage, puis se photographient sous tous les angles avec leurs iPhones. Ensuite, c'est autour de l'écran qu'elles discutent de leur choix. Le pixel a pris le pouvoir sur la rétine. »

p.77, à propos du comportement des gens quand un portique sonne en magasin :

«  - Le Français regarde dans tous les sens comme pour signifier que quelqu'un d'autres que lui est à l'origine du bruit et qu'il cherche aussi, histoire de collaborer.

• Le Japonais s'arrête net et attend que le vigile vienne vers lui.

• Le Chinois n'entend pas ou feint de ne pas entendre et continue son chemin l'air le plus normal possible.

• Le Français d'origine arabe ou africaine crie au complot ou au délit de faciès.

• L'Africain pointe son doigt sur sa poitrine comme pour demander confirmation.

• L'Américain fonce directement vers le vigile, sourire aux lèvres et sac entrouvert.

• L'Allemand fait un pas en arrière pour tester le système.

• L'Arabe du Golfe prend un air le plus hautain possible en s'arrêtant.

• Le Brésilien lève les mains en l'air.

• Un jour, un homme s'est carrément évanoui. Il n'a pas pu donner sa nationalité. »